vendredi 22 février 2019

La tentation de Soria

Durant les vacances de pâques 1969, me prit l'envie de découvrir l'Espagne. Je levai le pouce et eus tôt fait de rejoindre San Sebastian où, m'étant acoquiné avec un Suisse, un jeune Américain en plein Grand Tour et heureux possesseur d'une Triumph cabriolet rouge nous offrit de nous emmener jusqu'à Madrid. La route étant longue, nous décidâmes de faire étape à Soria petite capitale d'une humble province de Vieille Castille où nous nous mîmes en quête d'une « casa de huespedes barrata » (Maison d'hôtes bon marché) que nous trouvâmes sans problème. L'heure du dîner étant, comme le veut la tradition espagnole, bien tardive, nous décidâmes en attendant d'aller prendre quelques « rafraîchissements » dans un bar du voisinage. Les guillemets s'expliquent par le fait qu'étant en tout début d'avril dans une ville située à une altitude dépassant les 1000 m, on ne pouvait pas trop se plaindre d'un excédent de chaleur.

Et « rafraîchissements », il y eut à profusion car à cette époque de l'année trois jeunes touristes de nationalités différentes dans cette ville oubliée de Dieu comme des grands flux touristiques constituaient une attraction. Chacun voulut nous payer un verre, nous remîmes ça et quand nous quittâmes nos nouveaux amis, nous étions pour le moins gais et n'avions plus très faim vu que nous nous étions goinfrés de tapas qui, en cette époque bénie étaient gracieusement offertes par la maison aux buveurs. Un des souvenirs qu'il me reste de cette soirée sont les photos de chasseurs ramenant, liés par les pattes à une perche qu'ils portaient à l'épaule, des loups. A croire qu'en ces temps obscurantistes ils n'avaient pas encore découvert toute la gentillesse de la bête.

Le lendemain, nous ralliâmes Madrid où nous assistâmes à la procession du Vendredi Saint. Spectacle impressionnant où Phalange, Croix Rouge portant des casques allemands et pénitents à cagoule pointue et chaînes aux pieds défilaient en cohortes dans un ordre parfait. Nous fûmes, le jour, frappés de voir des militaires former d'interminables files d'attente à la porte des églises en vue d'y confesser leurs fautes. Nous étions sous Franco, ne l'oublions pas.

Nous visitâmes le Prado, au grand ennui de notre chauffeur qui semblait avoir eu plus que sa dose d'oeuvres d'art en visitant l'Italie. Il était Américain, ne l'oublions pas et se plaignait amèrement de tout ce qu'on lui servait à l'hôtel au prétexte que rien n'avait le même goût qu'en son merveilleux pays.

Je quittai mes compagnons et pris le chemin du retour. Un fait marqua ce voyage. Les aimables étudiants qui m'avaient pris en stop me prièrent, à l'approche du pont sur la Bidassoa qui marquait la frontière entre Espagne et France, de descendre de la camionnette qu'ils ramenaient du Maroc à Nantes et d'aller à pied les attendre de l'autre côté. J'en fus un brin surpris et passai la douane sans encombre,bien qu'inquiet au sujet des nombreux paquets de Ducados (cigarettes brunes) dont j'avais tapissé mon duvet. Comme promis, mes amis me récupérèrent après le pont. Quelques kilomètres plus loin, ils arrêtèrent leur véhicule et allèrent dénicher derrière le moteur un paquet de taille moyenne lequel contenait moult boites d'allumettes remplies d'herbe qui fait rire. J'appréciai leur délicatesse car au cas où les douaniers se seraient montrés curieux et chanceux, ils avaient tenu à ce que je ne sois pas impliqué dans un trafic dont j'ignorais l'existence. A part une nuit passée à crever de froid dans mon duvet sous un abribus d'Angoulème, je rejoignis mes pénates sans problèmes, la tête pleine d'agréables souvenirs : en une semaine, j'avais parcouru deux mille kilomètres et vu bien des choses intéressantes, instructives et inhabituelles.

Mais pourquoi parler de la tentation de Soria ? Parce que, figurez-vous que parmi mes centres d'intérêt se trouve l'architecture religieuse et que j'ai récemment découvert un site dédié aux églises romanes. On n'y parle ni des GJ, ni de Benalla. Ça me fait des vacances. Or donc, j'y découvris émerveillé qu'outre des bars à tapas, Soria possédait plusieurs joyaux d'architecture romane parmi lesquels l'église Santo Domingo dont la façade que voici n'est qu'une des merveilles :



Du coup, m'est venue la tentation de revoir cette ville et, en même temps, la crainte d'en être déçu. Car entre temps l'Espagne a changé. J'y suis retourné maintes fois depuis mon voyage d'il y a un demi-siècle sans y retrouver les émotions de ma jeunesse. Car si elle continue d'avoir des horaires pour nous surprenants, elle s'est beaucoup, comme la France d'ailleurs, modernisée, standardisée, a perdu de son pittoresque. A quoi bon parcourir plus de deux mille kilomètres avec pour tout résultat une nostalgie frustrée ? Ne vaudrait-il pas mieux se contenter d'aller à Irun acheter des clopes ?

22 commentaires:

  1. Si vous aimez l'architecture religieuse je vous recommande l'Allier. en trois jours j'ai visité dix églises toutes plus belles le unes que les autres

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    1. Le Portugal a de belles églises aussi : Tomar, les Hiéronymes, Alcobaça, Batalha...

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    2. @ Athéna : Je ne connais pas l'allier, il faudra que je découvre. Je viens également de découvrir l'existence, dans le voisinage, du Brionnais qui regorge de chefs-d’œuvres romans. Je devrais profiter du ait que ma fille habite Dijon pour visiter tout cela...

      Le portugal, c'est un peu loin pour moi qui crains l'avion.

      @ Fredi : L'Espagne n'est plus ce qu'elle était. Toutefois, Barcelonne,sa Sagrada familia et se immeubles de Gaudi m'ont émerveillé.

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    3. @ Fredi :

      Méfiez vous !
      Si j'en crois Le Figaro Séville est barbant ...

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  2. Mon conseil : si vous n'êtes jamais retourné en Castille (vieja ou nueva, peu importe), surtout n'y allez pas ! Tout est devenu, comme en France, mais peut-être encore en pire, d'une absolue laideur, petites villes et villages sublimes noyés, ensevelis dans des banlieues commercialo-industrielles à demi en friche et tout le tremblement.

    Sorry for Soria…

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    1. Ce que vous dites est ce que je redoutais : me renseignant sur la Castille ne fait que confirmer les craintes qu'avaient fait naître en moi mes recherches d'hébergement dans Soria. Il m'a semblé que la bourgade endormie que j'avais connue jadis s'était transformée en centre touristique et s'était beaucoup étendue. C'est la rançon du "progrès".

      Pour que des villes gardent leur pittoresque et leur intérêt, il faut qu'elles soient restées à l'écart de la prospérité des siècles durant. Je pense par exemple, en Bretagne à Dol, Tréguier ou dans une moindre mesure Dinan.

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  3. Dans ma jeunesse je m'étais juré de ne jamais aller en Espagne tant que Franco y sévirait. Promesse tenue jusqu'à ce mois de juin 1964 où il fallut bien ramener du Maroc - pour cause de fin de service militaire - cette R8 qui y avait été envoyée par bateau. Je me souviens qu'on avait visité Séville, Madrid, Tolède, Barcelone. Les routes étaient défoncées, pleines de nids de poules, les gens semblaient plutôt pauvres.
    Plus tard, beaucoup plus tard, dans les années 80-90 j'ai eu l'occasion de séjourner à Pals, un village magnifique dans le district de Gerone. Mais ce n'était plus la même Espagne !

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    1. " je m'étais juré de ne jamais aller en Espagne tant que Franco y sévirait." Vous étiez donc une dangereuse gauchiste ?

      Il faut croire qu'en 5 ans l'Espagne s'était beaucoup transformée car celle que je vis en 1969 avait des routes carrossables, et les gens n'y étaient pas riches (en France non, plus allez dans certains coins de l'Yonne (entre autres) aujourd'hui et vous ferez un voyage dans le temps) sans pour autant sembler miséreux.

      Pour en revenir à Franco, je pense qu'il a fait beaucoup pour développer un pays qui sous la république avait sombré dans l'anarchie et que menaçait le communisme.

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    2. Cher Hôte !

      Quand vous faites allusions à "certains coins de l'Yonne" j'espère que ce n'est pas Brienon-sur-Armançon, Champlost, Esnon et Venizy qui bercèrent ma prime enfance ?...

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    3. Je pensais à la partie de la Puisaye qui se trouve dans l'Yonne. Aux alentours de Saint-Sauveur-en-Puisaye (patrie de Mme Colette). Mais ce genre de coins se trouvent un peu partout en France rurale, hélas.

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  4. Cher Jacques (de Compostelle ?) !

    Santo Domingo ne peut que mériter un retour ...

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  5. Pour ceux qui connaissent le patinage artistique :
    la tentation de Soria bonne à lire ?

    Et pour les fans de Sylvie Vartan :
    la tentation de Sofia ?


    Et

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  6. Belle histoire, dommage qu'il n'y ait pas de photos.
    Sinon, je ne crois pas que votre caractère souffrirait de voir que vos souvenirs de jeunesse ont bel et bien disparus à jamais.

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    1. Merci d'avoir apprécié ce récit. Jusque récemment je n'ai jamais pris beaucoup de photos.

      Pour le reste, je n'ai pas votre assurance.

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  7. A propos de Franco et du voisin portugais, ne dit-on pas lorsqu'une bouteille de Madère ou de Porto est bouchonnée que c'est un sale hasard ?...

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  8. ¡Soria fría, Soria pura,
    cabeza de Extremadura,
    con su castillo guerrero
    arruinado, sobre el Duero;
    con sus murallas roídas
    y sus casas denegridas!

    ¡Muerta ciudad de señores
    soldados o cazadores;
    de portales con escudos
    de cien linajes hidalgos,
    y de famélicos galgos,
    de galgos flacos y agudos,
    que pululan
    por las sórdidas callejas,
    y a la medianoche ululan,
    cuando graznan las cornejas!
    Machado
    Orage

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    1. Merci Orage pour ce très beau poème, évoquant une ancienne cité déchue. Sans m'être à ce point parue lugubre, le souvenir que j'en garde est celui d'une ville endormie et plus riche de passé que d'avenir. Si je me souviens des chasseurs, je n'ai vu aucun lévrier hanter les rues. Depuis, la population a augmenté de 50% et les hôtels y pullulent prouvant que la ville est devenue touristique. D'où ma méfiance.

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    2. J'ai trouvé à la suite de l'extrait que vous donnez ces quelques vers :

      "¡Soria fría! La campana
      de la Audiencia da la una.
      Soria, ciudad castellana
      ¡tan bella! bajo la luna."

      Si belle sous la lune !

      J'ai découvert ainsi le lien particulier qui unissait Machado à Soria. Merci encore !

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