vendredi 29 janvier 2016

Du malheur et de l'empathie

M. Gary-Ajar écrivit dans L'Angoisse du roi Salomon « La pire chose qui puisse arriver à un malheur c'est d'être sans importance. » Triste constat ! Quoi de plus intéressant qu'un bon gros malheur ? De ceux qui vous foutent une vie en l'air ? Seulement, c'est surtout celui ou celle qui l'éprouve qui en mesure toute l'importance. Les autres s'en tamponnent souvent grave comme ils le font des bonheurs d'autrui, d'ailleurs. Il faut dire que des malheurs, tout le monde en connaît, de la tasse de café renversée sur la robe juste avant que ne s'ouvre le bal à la perte d'un être cher, de la commande d'Amazon qui s'égare à la longue, pénible et fatale maladie, ce n'est pas ce qui manque. Notre vie en est parsemée. Certains les collectionnent, d'autres en sont relativement épargnés mais leur profusion même nuit gravement à la considération qu'ils réclament.

Face au(x) malheur(s) chacun réagit à sa manière. La phrase-cliché de ce boute-en-train de Friedrich Nietzsche « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort » remporte l'adhésion des uns tandis que pour d'autres certaines blessures ne cicatrisent jamais et transforment ce qui leur reste de vie en un interminable chemin de croix. Question de résilience, je suppose. Confrontés aux mêmes épreuves, certains s'y noient ou se complaisent dans leur souvenir, d'autres, bien que non épargnés par la souffrance passent plus ou moins vite à autre chose. Question de sensibilité ? En l'absence d'appareils de mesure fiables, comment évaluer une notion si floue ? Est-il pertinent d'établir une échelle de valeur entre les personnes « sensibles » et celles qui le semblent moins ?

L'empathie est une faculté appréciée. En être plus ou moins dépourvu est mal vu. Seulement, toute développée qu'elle soit, celle-ci ne peut être que sélective. Il y a tant de malheurs au quotidien que non seulement on n'as pas connaissance de tous mais même parmi ceux dont on est informé on est contraint d'effectuer un tri. On gère son affliction, même relative. Certains deviennent « Charlie », « Paris » mais pas « Ouagadougou ». On ne saurait être tout. D'ailleurs la relative proximité favorise l'empathie au point que l'on peut se demander si la peine ressentie face à certains drames n'est pas due à une peur que cela puisse leur arriver... J'entendais hier à la radio un psy raconter que certains de ses patients faisaient d'insupportables cauchemars où ils se trouvaient au Bataclan en pleine tuerie bien que ni eux ni les leurs n'y aient jamais mis les pieds. Ce qui me plonge dans des océans de perplexité. L'humain m'apparaît bien bizarre.

Je ne peux m'empêcher de penser que pour certains le malheur donne un sens à la vie. Une sorte d'axe tragique autour duquel tout s'articule. Comme une justification à leur vision désespérée de l'existence. Non contents de se crucifier, ils militent au sein d'associations afin de promouvoir leur douleur particulière au rang de cause au moins nationale. Comme si, un par un, en s'appliquant, on parviendrait à éradiquer toutes les sources de malheurs présents et à venir. Curieux optimisme !

Ces quelques réflexions me furent inspirées par la lecture du Journal de M. Goux où en date du 17 décembre il décrit certaines militantes intransigeantes de nobles causes. Je ne saurais trop recommander la lecture de cette livraison (et de toutes les autres) car on y traite également d'attente dans les garages Volvo, de mœurs canines, de livres, de soirées électorales et de bien d'autres sujets graves.

13 commentaires:

  1. Si en plus je provoque des réflexions chez les Normando-Corréziens, alors là…

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  2. L'aphorisme : toute mort libère un espace, pour violent qu'il soit, concerne aussi la mort des êtres qui nous sont les plus chers, mort pourtant considérée comme le plus grand des malheurs.

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  3. "Comme si, un par un, en s'appliquant, on parviendrait à éradiquer toutes les sources de malheurs présents et à venir." J'aurais mis un imparfait, plutôt qu'un conditionnel. Mais la Guerre des boutons est bien loine !

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    1. Vous eussiez eu tort, car la condition est exprimée part "en s'appliquant" alors que l'éventuelle conséquence l'est par "parviendrait".

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  4. Ma mère disait :"chacun les siens".
    Je me demande si ces personnes toujours prêtes à être "untel" donneraient leurs vies ou celles de leurs proches afin que les victimes des attentats revivent.
    J'ai comme un doute.

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    1. Bien sur que non et en plus c'est impossible. Ils auraient donc raison.

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  5. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, l'empathie, chez ces derniers, ne peut que révéler une épouvantable hypocrisie, non? Enfin moi je vois les choses comme ça...
    Amitiés.

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  6. l'interprétation semble donc autorisée

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  7. Et donc, j'aurais bien envie de m'exprimer à ce sujet virgule mais bon.

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