dimanche 5 octobre 2014

Les poules au père Milien (2)



Contrairement à nos attentes, le petit Jock grandit en âge  mais non en sagesse*. Bien que petit son museau plutôt court  ainsi que sa couleur annonçassent le boxer, son nez se mit à s’allonger et si son poil  resta ras, rien d’autre en lui ne rappelait sa mère. Il devint d’une taille, d’un poids et d’une musculature impressionnantes au point qu’un ami quand nous le visitions s’empressait de mettre son chien, un groenendhal de belle taille, à l’abri de peur qu’il n’en fasse qu’une bouchée. Alarme vaine, car ce chien était un pacifique. Il ne manquait pas d’appétit et eût pu sans problème entrer au Guiness Book, catégorie goinfre. Entre autres choses, il était  friand d’œufs comme nous le constatâmes un jour qu’il en rapporta un dans sa gueule suite à une expédition dans une ferme voisine avant de le déposer au sol, d’en percer la coquille d’un coup de dent puis de s’en repaitre en le faisant rouler dans l’herbe à grands coups de langue. Mais, en dehors des joies du sport, est-il indispensable de se lancer dans de longues courses à travers champs quand on a un poulailler si près ? Jock dut penser que non.

Milien constata que des coquilles d’œufs trainaient aux alentours de son poulailler. Tout de suite il accusa de ces forfaits les margottes, nom tourangeau de la pie. On le vit donc prendre son fusil et débarrasser les alentours de ce corvidé voleur.

Un soir d’été que nous prenions le frais devant la maison, nous fûmes intrigués de voir notre benêt de chien effectuer une curieuse et sautillante danse dans  les herbes hautes du champ d’en face.  Tels de bons parents se réjouissant au spectacle de la vitalité de leur progéniture nous admirâmes d’abord son entrain mais, la danse tendant à s’éterniser, nous finîmes par nous rapprocher, intrigués de son manège. Nous comprîmes alors la raison de tant de cabrioles : Jock s’était trouvé une camarade de jeux : une des poules de Milien, paralysée de terreur et entourée des plumes qui manquaient cruellement à son dos se trouvait au centre de l’aire d’herbe qu’avaient couchée les bonds et autres approches rampantes du chien. A son grand regret, nous rentrâmes le chien mettant ainsi fin au martyre de la poule. Mais ce n’était qu’un début…

Un matin, nous découvrîmes près de notre porte le cadavre d’une amie de Jock que le jeu avait épuisé. Afin d’éviter de stériles conversations avec ce vieux con de Milien, je pris la voiture et balançai le corps du délit dans un fossé à quelque distance. Seulement, chaque fois qu’il parvenait à s’échapper de son enclos, et à ce jeu il était très fort, le chien remettait ça…

Il n’échappa pas à Milien que son cheptel aviaire diminuait. Il pensa d’abord à l’œuvre d’un renard. Son fils se mit avec chien et fusil à traquer le roux animal mais n’en trouva point. C’est alors que dut lui venir l’idée que le coupable pouvait être un animal de même couleur, mais plus massif, au poil moins touffu, un chien, par exemple… MON chien peut-être… Là commença un festival d’hypocrisie : lui avançant pas à pas, par allusions fines, moi me montrant d’une remarquable incapacité à les comprendre tandis que ma femme, plus directe, ignorait superbement « ce vieux con qui nous emmerdait avec ses saloperies de poules ».

Quand il retrouva une poule bien déplumée, il vint me montrer son dos à vif. J’exprimai un étonnement poli et mes interrogations quand à l’origine d’un tel phénomène, ajoutant qu’elle ne pouvait pas s’être fait ça toute seule. Il suggérai alors que ça devait être du à « quéqu’béte » sans plus préciser. Je me rangeais à son avis sans pour autant avancer une quelconque hypothèse sur la nature de l’animal…

Un jour il vint vers moi avec une poule aussi mouillée que morte.  Il m’annonça qu’elle s’était noyée dans la mare d’à côté, probablement après avoir été poursuivie par « quéqu’béte ». J’abondai dans son sens tout en feignant une totale ignorance quant au genre de bête qui aurait pu être à l’origine du drame…

Seulement, avec le temps, il ne resta plus beaucoup de poules. Le vieux sentait une sainte colère monter en lui. Un matin, ouvrant la porte, je trouvai sur le seuil un nouveau cadavre. Juste après j’entendis qu’on frappait. J’ouvris  à un Milien furieux auprès duquel je m’enquis de la raison de sa visite. « Y’a que y’a votre saloperie de chien qui m’a encore bouffé une poule ! V’là c’qu’y a ! » Devant tant de sincérité, je ne me démontai pas et lui répondis « M. B., je veux bien que ce soit mon chien, mais pourquoi l’avez-vous déposée à ma porte ? »  Surpris, il regarda à ses pieds et aperçut la volaille que j’avais jetée un peu de côté et que sa colère lui avait fait ignorer. « Nom de Dieu ! Y m’en a bouffé deux ! » s’exclama le bonhomme.

Le temps des explications était venu. Je lui proposai de l’indemniser du nombre de poules qu’il m’indiquerait. C’est alors que, toujours irrité, il me déclara que de telles poules, ça n’avait pas de prix. Contaminé par son animosité,  je lui  répliquai que dans ce cas, je ne voyais pas comment le payer, et lui souhaitai le bonjour avant de refermer ma porte.

Ce furent les dernières paroles échangées avant qu’un déménagement nous entraînât vers un environnement urbain.

*Les multiples ennuis qu'il nous causa justifieraient à eux seuls une série de chroniques !

20 commentaires:

  1. Pas d'hésitation surtout, nous attendons la série de chroniques la langue pendante.

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    1. Nous l'avons perdu de vue suite à une de ses fugues mais ce serait compliqué à expliquer. Aux dernières nouvelles il allait bien mais elles remontent à 22 ans...

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  3. Maître Jacques, vous m'avez bien fait rire. Merci pour ce moment!

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  4. mon Dieu ! pourvu qu'aucun grand malheur ne soit arrivé à ce glorieux animal

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    1. Je l'espère également. C'était un animal gentil, affectueux quoique farceur, fugueur et voleur de nourriture. Évidemment les poules devaient penser autrement.
      Vu l'inquiétude que son destin suscite, je sens qu'il me faudra raconter ses aventures...

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  5. Elle est bien bonne...vu de l'extérieur parce que du point de vue de de pauvre Millien...
    Amitiés.

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    1. Je crois que si ce vieux Milien n'avait pas été un infect grigou, malhonnête et avare les choses se seraient passées autrement...

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  6. Ah, là vous dites clairement ce que vous pensez de lui, ça fait plaisir!
    Celà dit, tous les paysans que j'ai cotoyés dans ce coin de Savoie étaient exactement pareils.
    Lors d'une discussion avec son fils, il avait fait tomber sa cigarette et pleurait (en la cherchant frénétiquement) sa "cigarette toute neueueuve".
    J'étais gamine à l'époque mais ce contact avec la gent rurale m'a été profitable.

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    1. Se frotter à des gens différents (je dis ça sans aucun mépris !) est toujours instructif !

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  7. Robert Marchenoir5 octobre 2014 à 19:47

    Les poules valent plus cher que les poires. Vous en êtes sorti gagnant.

    Bon, y'a pas de quoi construire l'Alhambra avec les bénéfices, mais ça vous fournira bien quelques dizaines de mètres de filasse.

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    1. Les poires, on les aurait mangées. Les cadavres de poules, on les balançait au fossé. Peut-être avions-nous tort mais du coup, en termes de filasse, nous n'étions pas gagnants.

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  8. Il a trouvait une meilleure table dans un coin de campagne ou alors un certain François H l' a engagé pour prendre des leçons " comment croquer de belles poules".

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  9. Délicieux articles.
    J'ai, moi aussi, eu un propriétaire dans le genre, pendant quelques années.
    C'était dans le sud ouest.
    Ces genres de comportements sont, hélas, typiques d'une certaine " ruralité " française.

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    1. Mon Milien est typique jusqu'à la caricature, en effet...

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  10. Je me suis régalée, plus encore que d'habitude.
    Bravo pour vos talents de conteur !

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  11. Robert Marchenoir6 octobre 2014 à 16:22

    Au chapitre de la mentalité paysanne dans ses rapports avec les citadins, je mentionnerai cet agriculteur bio interviewé sur Radio Courtoisie (thème de l'émission : la terre ne ment pas, la "ruralité" c'est la France -- c'était le mot utilisé --, le "productivisme" c'est de la merde et la finance internationale c'est le diable).

    Il se crut obligé de dire : je vends aux bobos, hélas.

    Alors évidemment, bobo est un terme qui ne veut plus dire grand'chose aujourd'hui, sinon "gros con", "salopard", "enculé" ou "fils de pute", tellement il est employé par tout le monde avec des sens opposés, mais on s'accordera à dire que bobo désigne en général un citadin, aisé, de gauche et... mangeant bio.

    Donc on a ce spectacle stupéfiant, mais hélas courant en France -- et pas seulement au sein de la "ruralité" --, d'un type qui insulte ses clients parce qu'ils ont le culot d'aimer ses produits et d'avoir les moyens de les acheter.

    Je suppose que cet "agriculteur en colère", dont l'animateur de Radio Courtoisie buvait les paroles, préférerait que le ministère des Légumes Bio lui achète ses produits à prix fixe et intervalles réguliers, dans le cadre d'une Grande Loi sur la Ruralité Bio, comme ça il n'aurait pas à s'emmerder avec des clients.

    Parce que j'ai un peu de mal à imaginer qu'il préférerait vendre à des ouvriers RMistes, vivant à la campagne et achetant leurs carottes chez Lidl, parce qu'ils n'en ont rien à foutre de payer trois fois plus cher des carottes sales et contrefaites sous prétexte qu'elles sont "bio".

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