mardi 9 septembre 2014

Mon père, ce héros ? (Reconstitution d’un puzzle) (1)



En cette année de grandes commémorations et suite à des questions de ma fille, j’ai été amené à m’interroger sur ce que fut exactement la guerre de mon père. J’avais quelques indices, saisis au fil de conversations : Canada, Alexandrie, Le Cap, Dakar, Algérie,  il en avait vu du pays… Mais il en parlait peu. D’où mes malentendus. Pour moi, il avait passé sa guerre immobilisé en Égypte, attendant loin des tumultes que les affaires se tassent. Et puis je me suis mis voici quelques jours à faire des recherches. Elles bouleversèrent l’idée que je me faisais de la légende paternelle.  Y a –t-il le moindre intérêt à évoquer des faits familiaux vieux de soixante-dix ans et plus ? Je pense que oui, car au-delà de la personne qui les a vécus, ils peuvent montrer la distance qui existe entre la version manichéenne qu’on nous vend aujourd’hui et ce que fut la réalité d’hommes pris dans une tourmente dont les enjeux les dépassaient et à qui leur marge de manœuvre paraissait aussi réduite que celle d’un bouchon flottant sur l’océan.

Le 5 décembre 1938, lassé d’années passées en pension chez les bons Montfortains à l’école apostolique « Le Calvaire » de Pontchâteau (Loire Atlantique), peu soucieux de devenir un de ces missionnaires que tendait à former l’établissement, mon père décida d’abandonner ses études pour devancer l’appel et intégrer la Marine Nationale. Ayant il y a bien longtemps lu le règlement de l’école, il me fut aisé de concevoir que comparée à la vie scolaire, celle d’un militaire pouvait sembler une porte ouverte sur l’anarchie et le confort. Seulement, si les bons pères étaient très forts sur la discipline, les offices, les lectures édifiantes en latin  et autres prières, ils avaient tendance, ce faisant, à tenir leurs disciples peu au fait des troubles qui agitaient le Monde. En cette fin 1938, mon père n’était aucunement informé des préoccupants bruits de bottes qui laissaient présager  la prochaine guerre. Ce ne sont pas ses rares séjours chez ses parents qui ignoraient radio comme journaux et parlaient un français très approximatif qui auraient pu le renseigner sur les bouleversements en cours et en préparation.  D’une certaine manière, comme disent les anglais, il avait sauté de la poêle dans le feu…

Toujours est-il qu’il assista avec effarement à la mobilisation à  Rochefort où on laissait les chevaux réquisitionnés, faute de fourrage, crever de faim attachés à des arbres après en avoir dévoré écorce et branches basses. Ça sentait  bon l’organisation… Le souvenir suivant fut un voyage à bord du cuirassé Lorraine à Halifax, au Canada, en novembre 1939 afin, selon lui, d’y mettre à l’abri une partie de l’or de la Banque de France. Ce qu’il ressentit comme un indice du peu de confiance que le gouvernement avait dans le sort de nos armes. Un article sur la question dément son avis sur la question : il ne s’agissait que d’assurer le paiement comptant des armes commandées aux USA comme l’exigeait la pratique du « Cash and carry » instaurée par Roosevelt. Après avoir participé à diverses opérations avec la marine anglaise et à diverses missions visant à parer une intervention italienne en Méditerranée Orientale, vient la débâcle et toujours sur le Lorraine, navire amiral de la Force X, mon père quitte Toulon pour se rendre à Alexandrie, elle y parvient en Juin. La flotte s’y trouve encore lors du déclenchement de l’Opération Catapult déclenchée par les Britanniques afin d’éviter que la Marine Française ne tombe aux mains des Allemands. Il s’agissait de saisir ou de neutraliser les bateaux de guerre français si nécessaire en employant la force. Ce fut le cas à Mers el-Kébir où la marine anglaise attaqua les navires français provoquant près de mille morts. Ce qui ne facilita pas la poursuite de bons rapports entre ces « alliés ».  A Alexandrie, il en alla autrement. Il se trouvait que l’amiral Cunningham et l’amiral Godfroy étaient beaux-frères et s’estimaient. Ils atteignirent donc un gentlemen’s agreement, l’escadre française fut désarmée et mon père put, trois ans durant(et non cinq comme je l’avais jusqu’ici pensé ) goûter aux joies plus ou moins exquises d’un exil égyptien sous contrôle britannique…

Ce qui, comme nous le verrons,  n’irait  pas sans poser de menus problèmes…

21 commentaires:

  1. Merci beaucoup, Jacques! Je m'étais toujours posé des questions au sujet de Mers-el-Kebir, vous venez d'y répondre.

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    1. Sinon vous allez chez Wikipédia hein ! Pour les détails j'veux dire ! Y paraît que le mousse du Tigre suçait bien et que le QM du Kersaint en avait une grosse.

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    2. @ Orage. Si je peux rendre service...
      @ Léon : Nous ne devons pas avoir la même édition de Wikipédia car la mienne néglige les savoureux et utiles détails que vous nous communiquez avec la finesse et l'élégance qui vous caractérisent.

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    3. Robert Marchenoir9 septembre 2014 à 16:32

      Moi j'ai une édition très rare de Wikipédia, datant de la fin du XXème siècle, entièrement reliée en peau de con.

      Elle fait la gloire de ma bibliothèque et l'émerveillement de mes visiteurs.

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    4. @ Robert : Heureux homme, comme je comprends votre fierté ! N'ayant accès qu'à une version on line antérieure (ou postérieure et censurée) à celle de M. Léon, je n'y trouve pas les précieuse précisions qu'il nous apporte. La vôtre les inclurait-elle ?

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  2. Léon reste Léon9 septembre 2014 à 15:46

    Une question posée par votre fille ? Eh bien répondez-lui lors d'une prochaine conversation familiale. Ne faites pas du Trierweiller sans pognon, sans Hollande mais avec plus d'obscénité.

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    1. Pour ce qui est de rester Léon, vous le restez à condition que ce nom soit synonyme de triste con. Il n'est pas dans mes habitudes de répondre de manière si grossière mais il est parfois nécessaire avec certaines personne d'employer le mot juste. En effet, il ne s'agit pas de raconter (d'une manière qui, pour des raisons qui m'échappent vous paraît obscène et qui vous fait établir, Dieu sait pourquoi, un rapport avec un livre récent) des souvenirs personnels mais d'essayer d'exprimer à partir d'une expérience particulière mon opinion sur la complexité des situations qu'a pu engendrer la seconde guerre mondiale. Il me semble que mon préambule l'annonçait de manière intelligible pour une personne dotée d'un minimum d'entendement. Je suis au regret de constater que votre si fine remarque indique que vous en êtes dénué. Avant de vous prononcer, vous auriez au moins pu en attendre la fin.

      Cela dit, et afin de mettre les choses au clair, je vous ferais remarquer qu'étant ici chez moi, si la fantaisie me prenait de raconter par le détail des histoires intimes, j'en aurais autant le droit que vous auriez celui de trouver mes récits stupides autant que déplacés. Parallèlement, vous n'êtes pas plus obligé de me lire que je ne suis astreint d'écrire. Si vous n'aimez pas ce blog, cessez de le lire, arrêtez de vous faire du mal.

      C'est pourquoi après tant de patience, je suis au regret de vous informer que dorénavan,t et malgré ma répugnance à exercer une quelconque censure, si vous persistez à réitérer vos sempiternelles plaintes, je me verrai au regret d'en effacer toute trace. Non que celles-ci me blessent mais par simple lassitude.

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    2. Jacques, vous êtes trop bon: point n'était besoin de vous justifier ainsi. A la trappe le Léon, c'est tout!.

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    3. J'ai tendance au dialogue, que voulez-vous, chère Orage...

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  3. Robert Marchenoir9 septembre 2014 à 16:11

    Il paraît que l'armée française avait la sale habitude de maltraiter ses chevaux, à l'encontre de l'armée britannique qui les choyait bien davantage. Les Français considéraient leurs bêtes comme du matériel, tandis que les cavaliers britanniques préféraient, à l'occasion, s'infliger des fatigues supplémentaires pour ménager leurs montures.

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    1. Il semblerait que la triste scène que j'évoque ait été surtout due à des consignes de réquisitions appliquées sans discernement et sans que celle du fourrage nécessaire n'ait été prévu. Personne ne semblait avoir besoin de ces pauvres bêtes. Il s'agirait donc plutôt d'incurie que de mauvais traitements volontaires...

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    2. Robert Marchenoir9 septembre 2014 à 20:29

      La frontière entre les deux est assez subjective... Je voulais souligner que ce n'était pas un incident isolé, mais une pratique généralisée. Un travail a été récemment publié sur le sujet (livre, article ?...), on en avait parlé dans la presse à l'occasion de je ne sais quelle commémoration. Ce travail a permis de rappeler à quel point les animaux (chevaux et chiens) étaient encore employés de façon massive dans les armées européennes jusqu'à la Deuxième guerre mondiale, ce qui ne cadre pas avec les images que nous en avons, plutôt à base de chars et de bombardements aériens.

      L'emploi de la cavalerie comme arme d'attaque avait presque disparu à cette époque, mais elle servait encore beaucoup à transporter le ravitaillement, les armes et les munitions.

      Le témoignage que vous rapportez confirme l'enquête sur laquelle je suis tombé, et dont les références m'échappent.

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  4. Cher ami, je crois que vous avez touché un troll, ce sont des choses qui arrivent.
    En ce qui concerne les aventures paternelles, il est toujours extrêmement intéressant de savoir ce qui leur
    est arrivé.
    Je regrette de ne pas avoir poussé le mien à m'en dire plus, maintenant c'est foutu.
    Amitiés.

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    1. Finalement, Léon me lasse...
      Je suis d'accord avec vous sur le regret que l'on ressent de ne pas avoir laissé libre cours à sa curiosité et ainsi d'être resté ignorant des expériences que nos parents ont connues. Peut-être était-ce dû au fait qu'ils avaient tendance à s'enfermer dans un rôle plutôt que de se montrer des personnes. Ce n'est que sur le tard (mon père a vécu vieux) que j'ai pu évoquer certains aspects de sa vie... Mais ce qu'il a pu faire entre 43 et 45, je me vois réduit à l'imaginer. Vu le véritable sujet de ce billet et du suivant ça n'a au fond pas grande importance...

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  5. je n'ai pas pu interroger mon père non plus, je savais qu'il était pompier de Paris pendant toute cette époque et le peu qu'il m'en a dit laisse beaucoup de vide, paradoxalement, mon grand père m'en a raconté un peu plus sur son exil dès 1903 , mais peu sur la guerre de 14 et un peu plus sur 40, nous sommes les derniers dépositaires de ces récits réels de vive voix de nos anciens et c'est important pour nos enfants

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    1. Malheureusement, nous étions trop jeunes (je parle pour moi) pour nous intéresser à des histoires de "vieux" et après c'était trop tard. Beaucoup de regrets, donc.

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    2. Pour nos enfants et pour les autres, même ceux qui viendront après... Afin qu'ils sachent que tout n'a pas été aussi simple que ce qu'on veut leur inculquer afin d'en faire d'abrutis manichéens...

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  6. "Reconstitution d'un puzzle": dont les morceaux auraient été dispersés et ventilés par Raoul Volfoni ?...

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  7. Beau texte et merde à celui qui ne comprend rien, je crois que mon paternel faisait partie des F F I mais il n'en parlait que très peu, ce fut lors du décès que ma mère évoqua cette période de la vie de mon père.

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