jeudi 18 septembre 2014

Des « petites phrases »



Un nouveau scandale secoue notre république : un certain M. Macron, ministre de l’économie de son état,  aurait osé prononcer, parlant de la société GAD,  la phrase suivante : « Il y a dans cette société une majorité de femmes et il y en a qui sont pour beaucoup illettrées.» Passons sur la forme qui n’est pas des plus correctes : au lieu de « et il y en a qui sont pour beaucoup illettrées » il eût mieux fait de dire « dont beaucoup  sont illettrées » mais on lui demande d’être meilleur économiste que rhétoricien, non ?  Et évidemment de droite comme de gauche, tout le monde de crier « Haro sur le ministre ! ».  Rendez-vous compte : un soi-disant socialiste qui traite les ouvrières d’illettrées ! On aura tout vu ! Quelle morgue ! Quel irrespect !

Les eût-il qualifiées de grosses pouffiasses ou de tueuses en série qu’on eût pu parler d’injure (et accessoirement de calomnie) mais que je sache, être taxé d’illettrisme évoque certes un handicap mais ne constitue pas nécessairement une insulte. Il se peut qu’il ne s’agisse que d’un constat. Toute recherche sur Google avec les mots « Illettrisme GAD » vous mène à des articles où est signalé qu’il existe parmi le personnel de cette entreprise d’abattage un taux élevé d’illettrisme : 20 %. Ce n’est pas rien si l’INSEE estime le taux moyen chez les 16-60 ans à 9,5%.  Et quoi d’étonnant à cela si on tient compte de ce que ce taux est bien supérieur en milieu rural (Il dépasserait les 20%) et du fait que, quoi qu’on en dise, il est moins nécessaire de maîtriser l’écrit pour travailler dans un abattoir que pour devenir professeur de Lettres ou critique littéraire.

Le pire, dans cette histoire, c’est que l’on a retiré la phrase, voire le mot, de son contexte. M. Macron prenait les ouvrières illettrées de GAD  comme un simple exemple de personnes qui bénéficieraient d’une réforme du permis de conduire qui en abaisserait le coût et en réduirait les délais. Mais en un temps où la dénonciation des « petites phrases » et autres « dérapages »  constitue l’alpha et l’oméga de l’argumentation politique comment s’étonner  de ce « scandale » ? 

Je ne viens pas ici défendre un ministre socialiste dont la récente nomination interdit qu’on puisse porter un quelconque jugement sur son action et ses éventuels résultats. Je déplore simplement l’habitude qu’ont prise les media de monter en épingle de soi-disant écarts de langage en ignorant volontairement le contexte dans lequel ils ont été prononcés et qui font l’âne pour avoir du buzz. Ce que je déplore encore plus, c’est que tant de gens leur emboitent le pas. Il faut dire que scandaliser sur un mot est plus aisé qu’argumenter et qu’il est plus facile de se souvenir d’une phrase ou d’un mot que d’un raisonnement logique. Le pouvoir de nuire en est décuplé. Tel mot, telle phrase, restent durablement attachés à telle ou telle personne.

Les socialistes ont largement utilisé cette technique pour discréditer leurs adversaires. Ils ne peuvent donc pas s’étonner qu’elle soit aujourd’hui utilisée contre eux. Mais quand le berger répond à la bergère de la même désolante manière, on ne peut que déplorer la vulgarité de l’un comme de l’autre.

Dernière Minute : M. Edwy Plenel, qui décidément ne saurait en rater une, a déclaré ce matin sur la RSC™, alors qu’il était venu causer dans le poste de son dernier opus Pour les musulmans, a cru voir dans la phrase du ministre une attaque de la soi-disant élite contre les Bretons, « premiers immigrés de l’intérieur ». En tant que fils d’immigrés de l’intérieur et petit-fils de paysans illettrés et sans terre, je me demande si ce monsieur est vraiment stupide ou s’il fait semblant. Quel que soit le cas, on ne peut qu’être frappé par l’excellence du niveau atteint.

17 commentaires:

  1. Bien sur que tout cela est monté en épingle et qu on aurait tort d'allumer un ministre-débutant pour cette maladresse. néanmoins, ce qui est révélateur, à mon sens, c'est qu'en employant ce terme " d'illétrés " qui sur le plan linguistique n'est effectivement pas une insulte tout en étant péjoratif pour le pékin moyen, Macron n'ait pas pensé un instant qu'il pourrait choquer les "petites gens" concernées. Mettons cela sur le compte de l'inexpérience.

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    1. Si un ministre ne peut pas faire allusion à des situations concrètes sous prétexte qu'il risque de froisser telle ou telle susceptibilité, ne nous étonnons pas qu'ils manient la langue de bois et l'euphémisme.

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  2. Les "petites gens" se choquent? Elles n'avaient qu'à mieux travailler à l'école.
    Elles refusent le terme d'illettrées? Qu'on leur fasse faire une dictée! Mes parents ont appris le français à l'école et n'étaient pas illettrés.

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    1. En effet... La sensiblerie ne sert à rien... C'est à trouver des solutions qu'il faut s'atteler et pas à cacher les problèmes sous une prétendue sympathie.

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  3. Il n'y a pas besoin d'être grand clerc pour savoir que M. Macron a factuellement raison. De toute façon un nombre non négligeable de jeunes gens sortant d'une bonne quinzaine d'années d'enseignement obligatoire sont fonctionnellement illettrés. Il y en a plein les universités aujourd'hui, alors les abattoirs GAD...
    Et le pire, c'est que ce sont précisément les petites gens qui payent le prix de ce politiquement correct imbécile censé ménager leur sensibilité : on ne peut pas espérer résoudre un problème que l'on ne peut décrire précisément et objectivement.

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  4. Macron dit tellement vrai que les abattoirs Gad offraient des cours d'alphabétisation à leurs employés... Des abattoirs !

    Mais bon, aujourd'hui, si vous ne dites pas à tout le monde qu'il est "formidable", qu'il ruisselle de "talents" et que vous êtes "fier de lui", vous lui manquez de "respé" et vous êtes un horrible bourgeois arrogant. Pour une fois qu'un énarque dit la vérité...

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  5. Hum, on est très compréhensif ... et pourtant ça commence tout de même un peu comme Thevenoud. Au départ il s'agissait de procrastination...
    Macron est là pour résoudre les problèmes, pas pour les dénoncer : Quid de la formation professionnelle qui nourrit les syndicats ?

    Amike

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    1. Avant de résoudre un problème, il est nécessaire de l'identifier.
      Quant au rapport avec l'"affaire" Thévenoud, franchement, je ne le saisis pas.

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    2. Il a lu un rapport et vient le lire à la TV... J'aurais préféré qu'il diagnostique la formation professionnelle française plutôt que de faire dans le misérabilisme !
      Il aurait évité non pas de vexer, mais d'inquiéter les gens de Gad et tous ceux se sentant déclassés professionnellement. Car a-t- il des solutions ?

      Amike

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  6. Tiens, j'ai raconté une histoire dont l'héroïne était ouvrière dans un abattoir.
    On confond souvent illettré avec analphabète. Les ouvrières ont réagi avec des "on sait lire, nous".
    Que les personnes qui travaillent dans les poulaillers au ramassage des volailles, ou dans les abattoirs, se recrutent parmi les ceux qui ne pourraient pas faire grand chose d'autre, quoi d'étonnant ? On a beau donner le brevet à 90% d'une classe d'âge, il y a aussi ceux qui ne l'ont pas, qui n'auraient pas pu faire mieux, et c'est bête de les vexer.
    http://merle-moqueur.blogspot.fr/2010/04/je-crois-le-vent-les-otes-suite-et-fin.html#comment-form

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    1. Merci pour ce lien qui m'a permis de lire ces textes remarquables.
      Pourquoi serait-il bête de dire ce qui est vrai ? Je pense que le pire des mépris consiste à considérer que certains ne peuvent pas l'entendre.

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  7. Des illettrées, des analphabètes malgré la grande éducation nationale, on nous aurait menti!

    Impossible, sauf mensonge d' état mais là aussi c'est inenvisageable;

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  8. Il est très vilipendé ...

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