lundi 28 juillet 2014

Revenons à nos moutons



Des critiques acerbes me furent adressées en commentaires hier. J’aurais omis d’évoquer certains points essentiels concernant cette bête immonde nommée mouton. En ces temps de crise, ne pas tenir compte des exigences de sa clientèle mène inéluctablement toute entreprise au dépôt de bilan. C’est pourquoi, afin de sauver ce blog de la désaffection, j’ai décidé de revenir à nos moutons comme on dit chez Pathelin.

Je commencerai par vous entretenir du célèbre « mouton à  cinq pattes ». C’est un animal très recherché, généralement en vain car bien plus rare que le canard à quatre pattes dont les imbéciles sont supposés avoir  du mal à briser les membres. Du coup, l’expression a fini par désigner toute quête d’un objet ou d’une affaire introuvables. Or, il fut un temps lointain ou avoir cinq pattes était la norme pour les moutons. Deux à l’avant, trois à l’arrière. Ce qui faisait que l’animal offrait aux gourmets de l’époque trois délicieux gigots. En ces âges farouches, on ne mangeait que cette partie de l’ovidé, le reste étant donné aux chiens. Doté d’un solide appétit, chaque membre de la famille avait droit à son gigot pour le déjeuner. Ainsi, une famille de quinze personnes (taille moyenne de tout foyer) achetait-elle cinq moutons pour tout repas digne de ce nom. C’était compter sans l’habileté commerciale d’un éleveur peu scrupuleux chez qui naquit un jour un agneau monstrueux doté de seulement quatre pattes (deux à l’avant deux à l’arrière). Son esprit retors fit un calcul simple : pour satisfaire les besoins carnés d’une famille standard, il faudrait non plus cinq, mais huit bêtes (le chef de famille s’attribuant le gigot surnuméraire). Même s’il faudrait se résigner à consentir un léger rabais par rapport au prix de la version trigigotique, l’affaire pouvait être juteuse… Réunissant ses confrères il lui fut aisé de les convaincre de l’intérêt de la chose. On se mit bien vite à la recherche de béliers et de brebis à quatre pattes. Et on en trouva. Une sélection permit de produire rapidement nombre d’agneaux et agnelles digigotiques et on fut bientôt en mesure d’approvisionner le marché. Très rapidement, le mouton à cinq pattes disparut mais durant une période  de transition la recherche du mouton à cinq pattes continua d’être parfois couronnée de succès. De cet heureux temps ne nous reste qu’une expression.

L’expression « être le mouton noir », c'est-à-dire celui qui, dans une famille, s’éloigne de la norme tire son origine d’un phénomène que l’on constate au sein de troupeaux d’ovins. De temps à autre, un gène récessif fait que naît un mouton de cette couleur. Ce phénomène est semblable à celui de « l’enfant noir » que l’on observe parfois au sein des familles les plus unies. Certains esprits obscurantistes et superstitieux tendaient à attribuer ces naissances « hors normes » à l’arrivée d’un facteur antillais au bureau de poste dont ils dépendaient. Dieu merci, la science a permis de dissiper ce malentendu. S’il en fallait une preuve supplémentaire, le fait que les femmes soient de moins en moins au foyer et que les facteurs n’aient plus de temps à perdre en s’arrêtant chez leurs clients (ils évitent même de sonner et de monter les étages quand ils ont un colis ou un recommandé à vous remettre) n’a pas arrêté le phénomène qui continue de se produire et semble même aller croissant…

Quant au mouton élevé sous la mer d’Al, je crains qu’il ne confonde avec le veau qui a le pied aussi sous-marin que marin. En revanche, l’agneau de pré salé est une réalité. On l’élève aux environs du Mont-Saint-Michel et dans les havres du Cotentin. Des études sont en cours pour poivrer et ailler ces prés, de manière à éviter aux consommateurs le souci d’avoir à assaisonner leurs gigots et autres côtelettes.

Pour finir, j’évoquerai cette particularité qu’ont les anglais d’employer le terme « mutton » dérivé du français pour désigner la viande de l’animal tandis que l’animal est nommé « sheep ». Il en va de même pour l’opposition pork/pig et beef/ox. Certains pseudo-savants ont tenté d’expliquer cette pratique par le fait que les nobles, d’origine normande et partant francophones mangeaient la viande alors que les paysans anglo-saxons gardaient les troupeaux (un peu comme en espagnol, les noms des produits consommables de l’olivier portent des noms d’origine arabe (aceite=huile de l’arabe az-zeyt, aceituna = olive, de l’arabe az-zeytun) tandis que l’arbre porte un nom d’origine latine (olivo) comme l’oliveraie (olivar)).  Il s’agit bien entendu d’un ramassis d’âneries. Selon le département linguistico-sociologique de l’École Rosaellienne Réunifiée d’Études Universitaires et de Recherche Scientifique (E.R.R.E.U.R.S.) à laquelle je me flatte d’avoir un temps appartenu, il faut plutôt chercher l’explication de ce phénomène dans le respect (de l’arabe (al raspiq = haute considération) qu’ont les anglais pour les morts ainsi que dans la juste admiration  qu’ils vouent à l’élégance de notre langue. C’est pourquoi un « sheep » décédé se voit élevé au rang de « mutton ». Ce même phénomène existe chez nous pour les humains : il est de règle que le « triste connard » et « l’infecte salope » se voient, la mort venue, unanimement qualifiés qui de « saint homme », qui de « sainte femme ».

10 commentaires:

  1. Cher Jacques, d'abord, je vous remercie pour ce complément d'information qui me sort de l'obscurité. Je ne passerai désormais plus pour un cuistre avec mon agneau élevé sous la mer. En revanche, l'expression "travail d'arabe" ne viendrait-elle pas une déformation de "travail d'arbre" : gardien de troupeau d'oliviers ?

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    1. @Al West: Jacques est un fin lettré, certes. Toutefois, je vous rappelle qu'il est à la retraite et espère en profiter longtemps. Les précisions que vous lui demandez confinent au harcèlement littéraire

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    2. Merci, Orage, pour votre compassion. Cependant, toujours au service de mon lectorat, je signalerai à M. Al West qu'il me semble faire un contresens : durant les siècles de domination arabo-berbère que connut le sud de l'Espagne, ce sont les crétiens qui cultivaient et les musulmans qui se bâfraient.

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  2. Je me permets d'apporter une précision sur le passage en anglais de "sheep" à "mutton". Il aurait un rapport avec la scandaleuse marge bénéficiaire des marchands de viande pour qui la bête sur pieds est "cheap" (faute d'orthographe pardonnable au péquenaud qui a mal travaillé à l'école) mais qui pratique un prix exorbitant quand il la baptise "mutton". Je laisse au distingué angliciste que vous êtes le soin d'expliquer le passage d'"ox" à "beef", de "pig" à "pork" et de "calf" à "veal".

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    1. Un peu capillotracté, non ? Malgré toute ma science en phonétique historique, je ne saurais me risquer à expliquer les évolutions que vous me réclamez... Demandez plutôt à Mme R. Elle vous extrait des racines et des évolutions aussi audacieuses qu'originales...

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    2. À propos de sheeps (à ne pas confondre avec les chips, qui n'ont rien à voir, à ma connaissance), j'espérais de Didier Goux, spécialiste en la matière, un rappel sur le mouton transgénique (à quatre pattes, également, ce qui étaye votre billet) dont il est fait état dans un film australien d'art et d'essai. Manifestement, je peux me brosser.

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  3. En été, un peu d'étymologie est toujours rafraîchissant.
    Merci, Jacques!

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    1. De rien, Michel !
      Si le discours étymologique vous rafraîchit, curieusement, il enflamme souvent dames...

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  4. Je me suis laissé dire que si on supprimait du vocabulaire anglais tous les mots d'origine française, ces pauvres British ne pourraient plus que la boucler.

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    1. On estime qu'environ 50 % des mots anglais sont d'origine française ou latine. Le fait qu'il leur existe des synonymes d'origine anglo-saxonne donne au vocabulaire anglais une richesse bien supérieure à celle du nôtre...

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