jeudi 9 mai 2013

Itinéraire « politique »



Nouratin m’ayant demandé à l’unanimité de développer mon passage du « gauchisme » à la « réaction », je m’exécute.  

Mon glissement progressif vers la droite ne s’est pas fait en un jour. Venant d’un milieu conservateur hyper catholique, la période de l’adolescence fut celle de la révolte contre un environnement  et surtout une famille ressentis comme  étouffants. Si on ajoute à cela que j’eus 18 ans en 1968, que nos chers professeurs au lycée ressemblaient davantage à des agents de propagande du Kominterm  qu’à  des enseignants soucieux d’objectivité et que le gauchisme était  à la mode, j’abordai l’âge adulte avec dans ma boite à outils, tout ce qu’il fallait pour faire un bon gauchiste. Sans compter qu’un peu par hasard je devins alors instituteur remplaçant.

Un séjour d’un an et demi au Sénégal, s’il calma mes ardeurs tiers-mondistes, me laissa cependant de gauche. Je fus même délégué syndical jeune et j’entrai au PS attiré par son aile gauche alors incarnée par  M. Chevènement et ses jeunes camarades du CERES. Une autre raison qui me fit adhérer fut mon anticommunisme viscéral. Je m’étais aperçu lors de la campagne des législatives de 1973 que les colleurs d’affiches en compagnie desquels je salopais la ville de Dreux étaient tous communistes et que les militants socialistes ne couraient pas les rues, pas plus de jour que de nuit. Il me semblait utile de compenser, en vue d’une victoire de la gauche, le poids d’un PC  qui la dominait alors.

Cette expérience de militant qui ne dura qu’un an ne me laissa pas de souvenirs marquants, si ce n’est celui  de l’ennui profond que faisaient naître en moi les rivalités de tendances qui animaient les réunions de section. Si c’était ça l’activité militante, autant se mettre au macramé…

Je partis pour Londres où les problèmes de logement déjà contés ici réveillèrent mon ardeur militante. C’est lorsque je suivis les cours du centre de formation des professeurs de collège de Tours que je commençai à déchanter. En effet, au cours de la deuxième année, un « mouvement social » agita notre petit monde. Je commençai par y prendre une part active jusqu’à ce que je me rende compte que plus  que l’intérêt général proclamé (meilleure formation pour nous, justice sociale pour tous, bonheur de l’humanité, etc.) ce qui motivait principalement mes camarades était la peur d’échouer au concours et le désir corporatiste d’obtenir un maximum d’avantages contre un minimum d’efforts.  Cela me déçut gravement. Pour moi, la gauche, c’était un désir naïf d’égalité et de bonheur universels et non la satisfaction de revendications catégorielles. Ne me sentant aucunement concerné par la possibilité d’un échec, je commençai à prendre mes distances vis-à-vis du syndicat.

Il n’y a que le premier pas qui coûte.  Les autres suivirent.  En fait, je m’aperçus qu’en dehors de l’accomplissement de mes rêves fumeux d’une société « juste » et « humaine » je n’avais jamais rien attendu de la gauche.  Si j’avais besoin de davantage d’argent, je ne l’attendais pas de la satisfaction de revendications salariales, je me mettais simplement en quête d’une source supplémentaire de revenus. N’étant pas regardant sur le type de travail, je connus les joies du travail en usine, de la peinture de serres et de tas d’autres petits boulots (facteur, barman, moniteur, entre autres). « Travailler plus pour gagner plus » a toujours  été ma devise. En cela, j’étais comme me le reprochait mon meilleur ami de jeunesse (communiste pur et dur) un individualiste. Ce qui est très mal.

Mes études terminées, j’exerçai dans un petit collège rural où collègues et direction  jouaient à plus à gauche que moi tu meurs. N’étant ni taciturne ni hypocrite, mes opinions comme mon goût de la discipline n’eurent pas l’heur de plaire à ma directrice qui, sans pour autant m’attaquer de front, faisait montre à mon égard d’une froideur un rien réprobatrice. C’était heureusement réciproque. Ne me sentant rien de commun avec ce milieu je le quittai pour m’adonner aux joies du commerce alors que M. Mitterrand commençait à mon grand dam à présider au destin du pays. J’ai déjà raconté cet épisode de ma vie.

Je tirai beaucoup d’enseignements de cette expérience. Ils  ne me ramenèrent aucunement dans le giron de la gauche, bien au contraire. Taxer de manière confiscatoire le fruit d’un travail acharné ne me parut pas juste. Constater qu’en ce beau pays de France, n’importe quel traîne savates venu du bout du monde a plus de droits sociaux qu’un ex-commerçant qui a des années durant craché au bassinet me conforta dans mon refus total de la soi-disant générosité socialiste.   

Au bout du compte, si je me suis pensé de gauche de dix-huit à vingt-cinq ans, je crois que c’était une erreur de jeunesse.  On découvre le monde, on vous le décrit « injuste », il vous vient des aspirations généreuses. Quoi de plus banal ? Seulement, avec le temps, pour continuer  de chérir ces idéaux à mesure qu’on avance dans la vie, il faut être soit bougrement hypocrite soit doté du tempérament idoine.  J’entends par là qu’il faut aimer le collectif, la stabilité, la vie sans à coups,  une « égalité » théorique ainsi qu’un nivellement intellectuel effectif.  Ce n’a jamais été mon cas. J’y ai toujours préféré l’initiative et l’effort individuels, la mobilité, le changement, les inégalités ne me dérangent pas.  Et tout ça, c’est réac en diable.

17 commentaires:

  1. Oh la la, comme je m'y retrouve dans cette bien belle histoire...

    RépondreSupprimer
  2. Moi aussi, je m'y retrouve assez bien même si je suis resté de gauche. Peut-être parce que je n'ai jamais été égalitariste (je m'en explique sinon je vais être viré des leftblogs : je crois plus à la lutte contre les inégalités que pour l'égalité...).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. (je crois plus à la lutte contre les inégalités que pour l'égalité...)

      Pas bien saisi. Pourriez-vous développer ?

      Supprimer
    2. Si je peux rendre service... Par exemple, je parlais récemment du féminisme avec une copine. Je SAIS que les hommes et les femmes ne sont pas égaux. Je ne vais donc pas lutter pour leur égalité. Par contre, je vais lutter (heu...) pour limiter les inégalités "indues", comme les différences de salaires.

      Supprimer
    3. Vous n'avez pas idée de tous les trucs que je finis par comprendre !

      Supprimer
  3. J'aimerais bien avoir une histoire à raconter sur le temps où j'étais gauchiste, comme tout le monde. Le problème c'est que, si je n'ai pas toujours été de droite, je n'ai pas le souvenir d'avoir été de gauche. Sauf au lycée, pour draguer les filles en section littéraire, mais je ne sais pas si ça compte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Disons que l'hypocrisie, qualité de gauche, dont vous fîtes montre pourrait plaider en votre faveur. Allons, soyons bon prince : admettons que vous ayez été de gauche. Mais c'est bien parce que c'est vous !

      Supprimer
  4. Si vous n'aviez pas tant de légumes à cultiver, je dirais que vous témoignez par ce billet d'un véritable talent qui devrait vous inciter à écrire un LIVRE, qui pourrait s'intituler : "De la droite à la droite", et où vous développeriez votre cheminement depuis votre adolescence dans votre famille, jusqu'à aujourd'hui.
    Je suis sûre que vous ne vous imaginez même pas le nombre de jeunes, en particulier, à qui vous pourriez rendre service.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous me flattez, Mildred ! le titre me plaît. Malheureusement, comme vous le signalez, j'ai beaucoup de légumes à cultiver.

      Supprimer
  5. Excellent, merci.
    Et limpide : vous avez un temps cédé au chant des sirènes, puis vu de quoi il retournait et vous en avez tiré les conclusions qui s'imposent.
    En revanche, je ne crois pas, hélas, que de jeunes gauchards vous écouteraient, c'est le genre de parcours initiatique qu'il faut faire tout seul.
    Amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Totalement d'accord avec vous Nouratin. Les jeunes doivent faire leur expérience. Certains en tirent des leçons, d'autres pas...

      Supprimer
  6. Finalement, à lire votre témoignage et celui de tant d'autres, on est de gauche parce que Papa ne l'était pas ou parce que Papa l'était…

    RépondreSupprimer
  7. Comme disait Churchill: "Quand on est pas communiste à 18 ans, c'est qu'on a pas de cœur et quand on est communiste à 50 ans, c'est qu'on a pas de cerveau".

    On pourrait remplacer communiste par gauchiste.

    Une majorité de réactionnaire doivent se retrouver dans vôtre cheminement.

    Pour ma petite personne, je suis anarchiste mais j'ai basculé de gauche à droite.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'anarchisme m'a toujours tenté. Je suis un anarchiste d'ordre, en quelque sorte.

      Supprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.