mercredi 13 mars 2013

Relire Georges Simenon ?



L’autre jour alors que je remettais en place Jane Eyre de Charlotte Brontë  après que l’ennui m’eut fait renoncer à en pousser plus avant la lecture, je tombai sur son voisin de rayonnage L’Énigme Georges Simenon de Fenton Bresler, paru en 1985 chez Balland et me mis à le lire. Je viens de le terminer. Je l’avais lu à la même époque que le Céline de Bardèche dont j’ai parlé ici

J’ai du mal à me souvenir de ce qui pouvait alors me pousser à lire ces biographies. Peut-être que comme le pensait Sainte-Beuve, j’imaginais que la clé des œuvres se trouvait dans la vie de leur auteur ?  Aujourd’hui je me fous pas mal de savoir où sont les clés, sauf celles de ma voiture faute desquelles je ne vais pas bien loin. Ne serait-ce que  parce que l’œuvre est toujours supérieure à  son auteur, si ratée soit-elle.  Qu’un homme ait sauvé cent fois le monde ou passé sa vie à assouvir sa passion du bilboquet, qu’importe s’il écrit bien ? Et s’il écrit mal ça ne change rien.

Simenon est pour moi un vieux compagnon.  Je ne sais pourquoi j’ai commencé à le lire en classe de sixième. Je me souviens même avoir oublié Les fiançailles de M. Hire sur un banc à Orsay alors que je l’avais emprunté à la bibliothèque. Faute de le trouver en librairie j’avais du aller jusqu’à l’entrepôt de l’éditeur pour pouvoir le remplacer  à temps. Quelle aventure ! J’avais onze ou douze ans et bien entendu je n’y comprenais rien. C’était un temps où je lisais tout et n’importe quoi.

Plus tard, j’y suis revenu, lisant les Maigret comme les autres romans. Évidemment, je ne me souviens de rien si ce n’est qu’au bout du compte j’ai fini par abandonner ces lectures à cause du profond malaise qu’elles suscitaient en moi. Jusqu’à une sorte de nausée. J’avais parfois l’impression que Simenon parvenait à pénétrer les tréfonds de l’âme humaine et que ce n’était pas  si beau à voir. A moins que, comme à l’auberge espagnole il n’y trouvât que ce qu’il y apportait. Je finis par opter pour la seconde solution et me détachai de lui.

Ses dictées autobiographiques m’avaient mis la puce à l’oreille : le personnage qu’il s’y construisait me semblait sans grand intérêt. Le livre de Bresler n’arrangea probablement rien. Le portrait croquignolesque qu’en fait Alphonse Boudard dans Cinoche (sous le déguisement transparent de Ralph Galano, l’illustre et richissime peintre) acheva de le détruire à mes yeux.

Ce qui me gênait le plus, c’était son approche du sexe : plus qu’une fête, il apparaissait comme une fatalité furtive subie par une femme résignée comme par  un homme que guide ses pulsions.  C’est du moins l’impression que j’en garde et qui n’aurait rien d’étonnant de la part de l’homme qui revendiqua avoir "possédé" 10 000 femmes (dont 8 000 prostituées)…

Cependant, pour qu’il y ait désamour, il fallait bien qu’il y ait eu attirance d’abord.  C’est pourquoi je me demande s’il me faut ou non relire Simenon, si l’homme (bien) mûr que je suis aujourd’hui portera sur l’œuvre un regard différent de celui qui fut le sien jadis…

18 commentaires:

  1. Personnellement, je dirai oui. À condition de prendre les meilleurs : Lettre à mon juge, Les Anneaux de Bicêtre, Betty, La Neige était sale, etc.

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  2. Il y a aussi, chez Simenon, une extraordinaire acuité du regard et une non moins extraordinaire économie de mots.
    J'ai eu l'occasion de traîner mes guêtres sur des chemins qu'il avait empruntés cinquante ans avant et ses rapides évocations n'avaient rien perdu de leur "actualité" et de leur puissance (étrangement certains SAS également).
    Relisez par exemple Quartier Nègre.

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  3. Vous connaissez "The Eyre affair" de Jasper Fforde ? beaucoup plus amusant que l'original, que j'avais bien aimé à 11 ans, moins après. J'ai lu Simenon beaucoup plus tard mais sans appétit
    Vous parliez de l'ex gare d'Orsay à Paris ou de la ville ?

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    1. Merci pour le conseil !
      je parle de la ville d'Orsay, j'y ai fait une partie de mes études secondaires.

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    2. Pour s'y remettre, La Neige était sale me paraît tout à fait approprié…

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    3. J'habite à Orsay, d'où la question !

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  4. Je suis sûr que vous changerez d'avis, ce type m'a toujours estomaqué en tant qu'écrivain et en tant que
    séducteur (je me force à rester correct, vous remarquerez).
    Parce que 8000 prostituées, ça lui laisse tout de même
    deux mille vraies conquêtes. Comme tableau de chasse ça se respecte, ne trouvez vous pas?
    Amitiés.

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    1. 2000 vraies conquêtes ? Qu'importe : en ce domaine la qualité me semble avoir le pas sur la quantité. Je ne développerai pas, vu que je risquerais ce faisant de choquer ce bon Léon...

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  5. C'est vrai que lorsqu'on est très jeune on arrive à lire de bout en bout, des livres auxquels on ne comprend rien, juste parce qu'on subit une espèce de fascination bizarre dont on ne veut pas se sortir.
    C'est ce qui m'est arrivé avec "Les grandes espérances".
    J'avais l'impression qu'on y disait des choses importantes mais je ne savais pas quoi.
    Je ne sais pas pour quelle raison je ne l'ai jamais relu plus tard.
    Par peur de me rendre compte que je ne comprenais toujours pas ?
    Par peur d'être déçue ?
    Pour les Simenon, ce n'était pas la même chose. Je les ai lus, les uns après les autres, à une époque où on ne se posait même pas la question de savoir si c'était un grand auteur ou pas.
    Il avait ses fans comme plus tard San Antonio et voilà !
    Ce n'est que quand ces auteurs sont presque morts, que tout à coup les littérateurs décident que finalement ils sont de grands écrivains.

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    1. C'est vrai que Simenon ne s'est vu reconnaître le statut de "grand" écrivain que très tard, bien que Gide avec qui il correspondait lui ait attribué ce statut dès les années quarante.

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  6. jaaaacques !

    ca y est, j'ai un troll !
    Vous voulez que je vous le prête ?

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    1. C'est gentil de votre part, mais j'aimerais autant que vous la gardiez, surtout que vous n'en avez pas le monopole : depuis ce matin elle sévit également chez l'Amiral...

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  7. Réponses
    1. Non. Mais je serais étonné qu'il me plaise vu l'effet qu'ont eu sur moi ses dictées autobiographiques.

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  8. Faut-il relire Simenon ? Oui, bien sur. Ne serait-ce que pour se rendre compte que 90% des romans actuels sont écrits en pataouète. Pas un mot inutile. Pas une phrase qui ne soit nécessaire. Et cet emploi de l'imparfait...

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  9. @ Didier, Pierre et Francis : merci pour l'encouragement et les conseils !

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  10. Mais c'est bien, son journal ! Bon, c'est long, on peut sauter des pages. Ses souvenirs au bord de l'eau, quand il passe son permis bateau et embarque avec sa machine à écrire, sa femme, sa bonne (qui est aussi sa maîtresse, bien sûr) et un (ou deux ?) grand(s) chien(s)pour un long voyage fluvial... Quand la bonne, qui couche à terre dans une tente, amène le plateau du petit déjeuner en marchant dans l'eau... Le passage où un médecin lui annonce qu'il est gravement malade et n'a plus que trois mois à vivre, son journal de ce moment-là... Bref, tentez le coup !

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    1. Le problème, c'est que, comme MM. Céline et Gary dont j'apprécie énormémment les oeuvres, je le soupçonne d'être menteur et un tout p'tit peu mytho. Et cela nuit à mes yeux à la lecture d'un genre qui, sans sincérité, me paraît sans intérêt.

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