jeudi 24 mai 2012

John, étudiant rétif


C'est au bout de cette jolie rue que se trouvait mon école, fermée depuis.



Mes diverses expériences éducatives m’ont amené à rencontrer toutes sortes d’élèves. Vu de l’extérieur, avec les yeux d’un bisounours, ce qui caractérise le jeune scolarisé c’est sa soif de réussite, de savoir, voire même, pourquoi pas,  d’apprendre.  

Disons que cette soif n’est pas universelle.  John fut pour moi un de ceux qui me parurent le mieux dominer leur aspiration au savoir.

C’était au tout début des années 90, à Plaistow, dans la banlieue Est de Londres. J’y menais une cure de repos après une période un rien agitée de ma vie. Comment mieux se reposer qu’en étant prof de français dans une école secondaire d’un quartier défavorisé ? On peut rêver meilleure solution, mais c’était la seule que j’avais trouvée. On n’a pas toujours le choix.

Contrairement au reste du London Borough of Newham, il n’y avait quasiment pas d’immigrés dans ce quartier. Il faut dire que les autochtones qui l’habitaient avaient tendance, afin de rester entre eux à rendre l’installation de familles allochtones difficile. Par exemple en caillassant systématiquement les fenêtres des maisons de celles qui avaient l’audace d’essayer. Certains élèves allaient jusqu’à refuser de travailler avec les rares condisciples pakistanais qui fréquentaient l’école. Charmant !  Je les y contraignais pourtant.

Donc, un environnement de souchiens cockneys. Quitte à décevoir certains, ça ne rendait pas la situation idéale, vu qu’il existait dans ce quartier voisin des docks une solide réticence vis-à-vis  de l’école. Quant au français…

John, donc, était un bon petit gars. Qui n’aimait pas l’école. Le fait que son père était en prison l’auréolait d’un certain prestige. Dans les Docklands, le gangstérisme a tendance à passer pour une industrie parmi d’autres.  En fait c’était, malgré sa haute taille,  à 14 ans un « petit » caïd. Après une première confrontation, nous avions fini par bien nous entendre. Il ne perturbait pas mes cours, je ne perturbais qu’au minimum ses rêveries. Tout allait bien. D’autant mieux que John se faisait rare, très rare à l’école.  Comme ses deux sœurs, diaboliques jumelles identiques, qui se relayaient pour faire croire aux professeurs qu’elles étaient toutes deux présentes, il avait un penchant très marqué pour l’absentéisme. Il avait probablement mieux à faire.

Or donc, un matin voilà que John nous fait l’honneur, d’autant plus insigne que rare, de sa présence. Il y avait bien un mois qu’on ne l’avait vu. A quelles (plus ou moins) amicales pressions avait-il cédé, je l’ignore. J’avais sa classe en première heure du matin. Tout se passa très bien jusqu’au moment où, très calmement, il emprunta le cahier de son voisin, se leva, ouvrit ledit cahier, y cracha un beau glaviot, le referma soigneusement, et le jeta par la fenêtre qu’il  avait préalablement ouverte.

Je lui fis remarquer que son attitude n’était pas acceptable. Il en convint volontiers. Je lui signifiai donc, qu’en dépit de notre amitié, je me voyais contraint de l’envoyer à la direction dument muni  d’un mot narrant les détails de son comportement incivil. Il reconnut le bien fondé de ma décision et partit,  toujours jovial et accompagné d’un camarade, pour le bureau de la sous-directrice. Il n’en revint pas.

A la pause du déjeuner, je demandai à la sous-directrice comment s’était passé leur entretien. Elle me dit que, vue la gravité des faits, elle s’était vue contrainte de le renvoyer de l’école pour une semaine. John avait donc fait un sans faute : en une heure, il avait gagné huit jours de vacances, en toute légalité cette fois. Il les prolongea, bien entendu…

Tout ça pour dire que, pour certains, on aura beau ouvrir toutes les portes de toutes les écoles possibles, réduire les effectifs autant qu’on voudra, ça ne changera pas grand-chose. Il est probable que ce brave John aura placé ses pas dans les pas de son père…

10 commentaires:

  1. Il est probable que ce brave John aura placé ses pas dans les pas de son père…

    C'est probable effectivement. La criminalité est souvent une affaire de famille.
    Pour le reste, je pense que le désir d'apprendre est à peu près aussi inégalement réparti que toutes les autres qualités humaines.

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    1. Alors, là, Aristide, vous errez ! Vous allez voir que grâce à l'embauche de 60 000 fonctionnaires dans l'EN le niveau va soudain s'élever à des niveaux inouïs !

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  2. Je ne vous dis pas assez souvent quel plaisir c'est de vous lire !
    Aristide a raison : le désir d'apprendre est très inégalement réparti.
    J'ai deux fils. Le premier a exigé d'apprendre à lire dès l'âge de trois ans. A six ans, son frère de deux ans son cadet, ne voulait encore rien savoir de la lecture : "Pourquoi veux-tu que j'apprenne à lire, disait-il, puisque mon frère me lit ?"

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    1. Merci Mildred !

      Oui, c'est assez mal réparti. personnellement le fait que mon frère aîné sache lire m'a rendu impatient d'apprendre, ne serait-ce que parce que j'avais un peu honte de lui demander sans cesse de me lire quelque chose.

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  3. Pas très politiquement correct...mais combien vrai!
    Amitiés.

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    1. On ne peut pas être vrai et politiquement correct. Il faut choisir...

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  4. Voici ce qu'il est devenu selon une chanteuse française.

    http://www.youtube.com/watch?v=GIH0Ovi__fg

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  5. Texte aussi bon qu'un bon film anglais.

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