jeudi 8 mars 2012

Monsieur G., employé modèle



J’ai connu M. G. alors qu’à 14 ans je travaillais pendant les vacances scolaires au siège d’une société de travaux publics à Paris. Adjudant de gendarmerie à la retraite, plutôt corpulent, cheveux en brosse, blouse grise, il était chargé de la distribution des fournitures de bureau, des photocopies et d’effectuer quelques courses en ville.

Et il le faisait avec zèle, conscience et sévérité. Selon lui, les employés n’avaient qu’un but : couler la société en gaspillant stylos, crayons, gommes et agrafes.  C’était simple : « Ici, il y en  a 80% à mettre en prison et le reste à surveiller ». Il ne précisait pas dans laquelle de ces catégories il se plaçait. Il luttait bec et ongles contre le coulage, exigeant des secrétaires qu’elles lui ramènent leur stylos billes vides avant de leur en donner de nouveaux.  A ses yeux, les jeunes femmes qui travaillaient au siège étaient d’une moralité contestable. Si une se plaignait d’une petite forme le lundi, une fois partie, il m’expliquait qu’elles passaient leurs week-ends à se souler au whisky et que pour le travail il n’y avait plus personne…

Dans un coin d’armoire, M. G. gardait les papiers d’emballage et  les bouts de ficelles récupérés sur les colis reçus  afin de les employer, une fois retournés,  pour les paquets qu’il expédiait.  Il fallait le voir guerroyer avec un chef de chantier d’autoroute venu de l’autre bout de la France au sujet d’une boite de crayons ou de stylos pour comprendre que si les deux mille employés de la boite se retrouvaient sur le carreau, ça ne serait pas de sa faute.

Seulement, tout Achille a son talon. Celui de M. G. était son respect absolu, quasi religieux des chefs. Ainsi, les divers directeurs avaient-ils  tous les droits. Ils pillaient sans remords ni justification les fournitures avec sa bénédiction.  Si l’envie leur prenait de lui faire photocopier la totalité d’une revue sans rapport avec le travail, celui qui chassait le gaspi au bazooka, s’exécutait sans rechigner. Ainsi, les fournitures sauvées  de haute lutte de la rapacité des employés disparaissaient-elles par cartons entiers  en vue d’assurer aux enfants des dirigeants (ainsi qu’à leurs camarades) une rentrée bien équipée.

Si M. G. économisait au sens propre les bouts de ficelle, M. P., PDG, n’en faisait rien : j’avais compté qu'avec sa famille il avait 9 voitures sur la société. Mais critique-t-on Dieu lui-même ? Il fallait voir le féroce G. contempler les yeux mouillants d’amour le Grand  Homme lorsqu’il lui faisait l’honneur d’une visite ! M. P., connaissant les hommes, ne manquait jamais de lui adresser chaque fois un petit compliment  qui le faisait rosir de plaisir et le réconciliait un temps avec l’humanité.  Une humanité, qui, à son niveau inférieur (les chefs, c’est tout autre chose), se composait de deux catégories : lui, qui travaillait « comme un romain » et les autres qui faisaient du « travail d’Arabe ».

A son retour de vacances, je lui demandai si ces dernières avaient été bonnes. Bonnes ?  Vacances ? Plaisantais-je ?  Il les avait passées à travailler comme un romain à l’aménagement de l’appartement de sa fille !  Des vraies vacances, ce serait d’aller en taxi d’hôtel en restaurant !  « Chauffeur, à ma botte !  Vous nous emmènerez avec Mme G. au « Homard Bleu » ! Exécution ! » . Seulement, il y a le rêve et la réalité.  Moins « rose »…

Certains me diront que j’ai fait ici le portrait d’un vieux con, misanthrope misogyne, raciste, mesquin, autoritaire, fort avec les faibles et faible avec les forts.  Peut-être, mais quelque part c’était un brave homme, très bon au fond. Simplement un homme avec les idées, les préjugés,  les comportements, de sa catégorie sociale et de son époque poussés à l’extrême. Une époque révolue.

5 commentaires:

  1. Cette histoire, si emblématique soit-elle, ne concerne après tout que la gestion de fonds privés. Et comme vous le dites c'est "une époque révolue".
    Mais que dire de l'époque présente où on apprend qu'un président de Communauté d'agglomération peut rémunérer sur des fonds publics, jusqu'à 45 vice-présidents ?

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    1. Dès qu'il y a des vices, Mildred s'intéresse...

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    2. J'aime bien les vis aussi !
      J'hésite toujours pour savoir s'il vaut mieux serre la vis ou carrément donner un tour de vis ?
      J'ai évidemment une affection particulière pour la vis à tergo.
      Voilà, vous savez tout !

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    3. Tergo cé un copin à vous ?

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    4. Oui bien sûr ! Vous le connaissez aussi ?

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