J’en veux pour preuve celui de commentateur politique. Vous
savez, ces gens que les media paient plus ou moins grassement pour nous entretenir
doctement à longueur de colonnes ou d’ondes hertziennes du dessous des cartes
politiques. Leur tâche n’est pas aisée : il leur faut déployer des trésors
d’imagination pour tenter de complexifier à l’extrême des situations d’une
simplicité biblique et trouver à des prises de position découlant de raisons évidentes
des motivations alambiquées. C’est à ce seul prix qu’ils peuvent passer pour de
fins analystes et justifier au passage leur existence. Faute de ce talent, ils
n’auraient souvent rien à dire et C dans
l’air pourrait fermer boutique.
Prenons l’exemple de la loi Macron et du 49-3 qu’elle
entraîna. Que de choses en furent dites ! On nous annonça entre autres finesses
que les députés socialistes contestataires, protestataires, frondeurs ou
simplement taquins ne voteraient pas la subséquente motion de censure car s’ils
désapprouvaient certains (voire tous les) articles de l’infâme loi en question,
cela ne saurait signifier qu’ils rejettent en bloc la politique
gouvernementale. Alors que la question n’est absolument pas là.
A quoi aspire, sauf cas exceptionnel, un député sinon à le rester ? Voter une
motion de censure équivaudrait pour tout élu de l’actuelle majorité à retourner
devant des électeurs dont l’empressement à le reconduire dans ses fonctions
serait pour le moins mitigé. Son refus
de la censure ne relève donc pas d’une quelconque adhésion mais du simple
instinct de conservation. Et il en va de même pour toute majorité qui ne
saurait se constituer sans qu’en son sein existent des nuances permettant de
ménager chèvre, chou et même loup. Du rose foncé communisto-compatible au rose
orangé centriste, du bleu-pâle Udéiste au bleu foncé (pour ne pas dire « marine »)
tendance souverainiste toute coalition se doit de ratisser large, de sembler déchirée
par des tendances fortement antagonistes, de proposer un menu où végétariens et
fous de barbaque trouveront leur compte, l’essentiel étant de ramasser un
maximum de mandats et de donner du grain à moudre aux commentateurs histoire d’entretenir
l’illusion que quelque chose se passe en politique.
Un commentateur politique honnête sait bien que les mouvements
d’humeur des excités de tout bord ne sont là que pour faire joli, que les plus
égarées des brebis ne s’aventurent jamais loin du bercail et s’y retrouvent au
premier rappel. Mais ramener les querelles tendancielles à leurs véritables
dimensions équivaudrait à se saborder en tant que profession et dans quel
domaine pourraient-ils se reconvertir ? Les querelles sur le sexe des
anges ayant perdu de leur attrait, leurs savoir-faire n’ont pas grands domaines où s’exercer.
C’est pourquoi plutôt que de rire à leurs pataudes
tentatives de donner des dimensions himalayennes aux taupinières et des
justifications idéologiques profondes aux manœuvres des appareils, il faudrait
applaudir leur talent d’illusionnistes faute duquel le spectacle qu’offre le cirque
politicien perdrait beaucoup de son intérêt. Sans eux, le brave peuple ne
serait-il pas tenté, privé de commentaires sur la guerre des chefs, de fines
analyses de petites phrases comme de rapports d’envoyés spéciaux sur les champs
de batailles des luttes intestines, de s’intéresser à des problèmes plus
fondamentaux avec les déplorables conséquences qu’on peut imaginer sans
peine ?